Il y a soixante ans environ, mon père remplissait les fonctions de caviste à la cure de Chalais. Un homme de Grimisuat que le prêtre avait engagé, disait-on, par pitié, était préposé à la garde des troupeaux.
Or, un jour que le travail pressait, les deux employés se rendirent à la forêt pour faire provision de bois. Par un hasard vraiment extraordinaire, ils oublièrent d’emporter du vin pour leur dîner. Mon père fort ennuyé, fit part de son oubli à son compagnon.
- Console-toi, Joset, lui dit celui-ci, tu n’as qu’à répondre à mes questions et le vin ne nous manquera pas. Dans quel endroit de la cave le tonneau du meilleur cru est-il placé ?
- C’est le second derrière la porte, à gauche en entrant.
- Bien ! Et dans quelle direction est tourné le robinet ?
- Il regarde Noës.
- Eh bien ! Mon cher, préparons-nous à faire bombance, je t’assure que le vin coulera à flots.
Le compère planta alors son couteau dans un bouleau et effectivement leur dîner de champêtre fut arrosé du meilleur vin de la cure.
Rentré au presbytère mon père réfléchit à ce qui s’était passé à la Forêt. Pris de remords, il raconta l’aventure au Curé afin d’empêcher que son compagnon ne vidât entièrement le tonneau. Le prêtre congédia son peu intéressant valet ; mais, avant de partir, celui-ci s’adressant au caviste lui dit ces mots : « Malheur à toi qui es la cause de mon départ ! Dès cet instant , tu iras de jour en jour en dépérissant et dans trois ans tu ne seras plus qu’une ombre ! »
Il s’en alla sur ces mots sinistres, laissant le pauvre homme dans une angoisse mortelle.
La prédiction s’accomplit ; à dater de cet instant le malheureux maigrit, perdit ses forces et comme une bougie qui s’éteint, n’eut bientôt plus qu’un reste de vie. Une année encore le séparait de la date fatale. Avec beaucoupe de peine, il put se rendre à la foire de Sion. L’auteur de son mal y était aussi. « Eh ! Joset, cela ne va pas bien à ce qu’il paraît ! Tu n’as pas gagné gros à me dénoncer. Cependant, vois-tu, j’ai pitié de toi et si tu veux prendre les remèdes que je te prescris, tu guériras. »
Le cœur du malade retrouva un peu de joie à l’ouïe de ces paroles. Le malheureux écouta la recette et se promit de la suivre scrupuleusement. « Quand tu auras mangé un fessellin d’ass (30 litres d’ail), tu auras retrouvé tes forces d’autrefois. » Lorsque mon père rentra le soir, nous vîmesune lueur inaccoutumée briller dans ses yeus. Il commença dès ce jour à se mettre au régime prescrit ; quand l’hiver fut écoulé, les 30 litres d’ail étaient consommés et le caviste tout guilleret, put reprendre ses fonctions chez le curé de Chalais.
Vous venez, Messieurs, d’entendre des paroles sincères, nous dit le vieillard.
Lorsqu’on a un pied dans la tombe, on n’invente pas de semblables histoires. On y croit parce qu’on les a vécues et l’on ne cherche pas l’explication.
Les esprits agissent sans cesse ; mais Dieu qui gouverne le monde est au-dessus d’eux et rien n’arrive sans sa volonté.
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